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.Un Forum Ouvert à l'ordre naissant  ...


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 Qu'est ce que...?
 
 

Par Harrison Owen, 1997. Traduction de Opening Space for Emerging Order gracieuseté de Diane Gibeault et Jacqueline Pelletier avec l'accord de l'auteur.

Harrison Owen est consultant indépendant et président de H.H. Owen and Co. On lui attribue souvent la paternité de la Technologie du Forum Ouvert, ce qu'il rejette. Dans son esprit, le Forum Ouvert a toujours existé; il a tout simplement eu la chance de le redécouvrir, tout à fait par hasard. Harrison Owen a écrit sept livres, dont le plus récent Expanding Our Now: The Story of Open Space Technology (Berrett-Koehler, 1997.). Il est marié, père de cinq enfants et grand-père de deux petits-enfants. Il a élu domicile à Potomac (Maryland) bien que son coeur soit resté dans le Maine.

 


 

La Technologie du Forum Ouvert, en tant que formule définissable destinée à faciliter l'organisation de réunions, existe depuis un peu plus de douze ans. En vérité, je la soupçonne d'exister depuis que les homo sapiens ont commencé à se rassembler, pour une raison ou une autre, autour d'un feu. Seulement, notre sagesse moderne a occulté ce que nous savons déjà et ce que nous connaissons par expérience depuis les temps les plus lointains. Mais ne sautons pas les étapes.

En 1985, quelque 80 âmes courageuses, se réunirent à Monterey pour le Troisième colloque international annuel sur la transformation organisationnelle. Les deux premiers colloques (nous en sommes à la 16e édition) avaient été organisés de manière traditionnelle - documents, table rondes et le reste. Mais tous les participants et participantes avaient constaté que, malgré l'effort de planification monumental entrepris plusieurs semaines auparavant, les choses vraiment intéressantes se passaient durant les pauses café - lesquelles n'étaient pas du tout planifiées, bien entendu. Ils ont alors décidé que le Troisième colloque international serait différent.

Différent, il le fut. À leur arrivée, les participants savaient seulement quand la réunion débuterait, quant elle se terminerait et quel en serait le thème général. Il n'y avait ni ordre du jour, ni comité organisateur, ni comité de gestion et le seul animateur en vue est, à toutes fins pratiques, disparu après quelques heures. Il n'y avait que 85 personnes assises en cercle. À notre grand étonnement, deux heures et demie plus tard, nous avions dressé un ordre du jour complet et prévu de nombreux ateliers pour lesquels nous avions déterminé le nom des responsables, l'heure, le lieu ainsi que le nom des participants et participantes.

De toute évidence, ce qui était à l'oeuvre ici, c'était la simplicité. Lorsque quelqu'un souhaitait examiner une question, il ou elle rédigeait une brève description sur une petite pancarte, annonçait le sujet au groupe rassemblé, affichait la pancarte au mur et s'assoyait. Quand plus personne n'avait de sujets à afficher au mur, les participants ou participantes qui avaient proposé des sujets déterminaient l'heure et le lieu de la réunion et quiconque était intéressé s'inscrivait. Aussi simple que cela.

Pendant les quelques années qui suivirent, c'est ainsi que s'est déroulé le colloque annuel. La seule véritable différence, c'est que les participants étaient plus nombreux et qu'il nous fallait moins de temps pour nous organiser. Il nous semblait tout à fait naturel que 150 (ou plus) cadres supérieurs et consultants ou consultantes s'assoient en cercle et organisent, en moins d'une heure, une rencontre de trois jours comprenant plusieurs séances, sans un seule dispute. Si quelqu'un s'est arrêté pour y réfléchir, ce dont je doute, il a certainement attribué cette réalisation miraculeuse au caractère exceptionnel du groupe rassemblé.

Puis, en 1989, le Forum Ouvert a pris son envol. En moins d'un mois, nous avons appliqué la formule du Forum Ouvert avec deux groupes extrêmement différents, dans deux domaines fort distincts. Les chimistes responsables du polymère chez Dupont ont tenté d'assurer l'avenir du tergal aux États-Unis, suivis immédiatement en Inde par un groupe d'universitaires et de cadres supérieurs qui ont réfléchi sur l'apprentissage dans les organisations. Dans les deux cas, les participants et participantes, se sont assis en cercle, ont défini ce qui était important pour eux et en moins d'une heure, ont organisé ensemble une réunion de plusieurs séances. Il se passait quelque chose d'assez étrange.

Au cours des années qui suivirent, le forum a continué de s'ouvrir. Aujourd'hui, l'expérience a été reprise littéralement des milliers de fois, sur tous les continents, autant avec des groupes de cinq que de 1000 personnes. Les participants et participantes proviennent de Fortune 500, de villages du tiers monde, de communautés religieuses, d'agences gouvernementales et de villes entières. Ils sont riches, pauvres, instruits ou non, syndiqués, gestionnaires, femmes et hommes politiques, gens ordinaires. et tout cela à la fois. Dans chaque cas dont j'ai eu connaissance, le Forum Ouvert semble avoir atteint ses objectifs.

Il faut préciser ce que j'entends par avoir atteint ses objectifs. Dans le cas du Forum Ouvert, cela signifie (pour le moins) que des groupes très variés, pouvant compter jusqu'à 1000 personnes souvent en conflit les unes avec les autres, travaillent sur des questions extrêmement complexes en une période de temps minimale, sans que l'ordre du jour ait été préparé à l'avance, et sans qu'il y ait ouvertement animation, ou alors très peu. Habituellement, au terme de la réunion, le Forum Ouvert a obtenu au moins les résultats suivants : 1) Tout ce qui pouvait constituer un sujet d'intérêt ou d'inquiétude pour les participants et participantes a été communiqué au groupe. 2) Le groupe a discuté de toutes les questions tant et aussi longtemps que chacun le désirait. 3) Il existe un rapport écrit complet de toutes les discussions et tous les participants et participantes en ont reçu copie. 4) On a classé les questions abordées par ordre de priorité. 5) Les participants et participantes ont isolé les grandes questions d'importance cruciale et ont déterminé les mesures à prendre pour les régler.

Atteindre ses objectifs, c'est aussi encourager tout un éventail de comportements au sein du groupe de participants. En effet, dans un Forum Ouvert typique, les groupes de travail autogérés constituent le mode de fonctionnement habituel, le leadership partagé est la norme, et la diversité est perçue comme une ressource précieuse qu'il faut chérir plutôt que comme un problème à gérer. On remarque aussi habituellement que les participants et participantes sont respectueux les uns envers les autres, que le conflit semble forcément déboucher sur des perspectives plus larges et que l'atmosphère se caractérise par une grande énergie que l'on qualifie souvent de légère ou d enjouée.

On est en droit de se demander ce qui se passe. La seule idée d'inviter 500 personnes (pratiquement étrangères les unes aux autres, liées uniquement par un désaccord sur une question précise), à se réunir pendant trois jours, sans le moindre ordre du jour, sans une petite armée d'animateurs et d'animatrices devrait suffire à faire écarquiller les yeux. Penser qu'il puisse en résulter quelque chose de fructueux contredit ce que nous avons enseigné ou appris à propos de la gestion des réunions et de la manière de travailler avec les groupes antagonistes. Cela est certainement impensable. Et pourtant, partout sur la planète, des groupes réunis en Forum Ouvert ne cessent d'obtenir des résultats positifs même si cela semble invraisemblable. L'impensable est maintenant chose commune. On ne sait trop comment, mais l'ordre naît du désordre naissant (ou existant). Et cela, régulièrement.

Quel est donc le secret ? Certains pensent que les quatre principes et la loi unique qui guident le comportement dans un Forum Ouvert, en sont la clef. Les principes sont :
1) Quiconque se présente est la personne qu'il nous faut. Ce principe rappelle aux membres des petits groupes que pour accomplir quelque chose, il ne faut pas nécessairement 100 000 personnes plus la présidente du conseil d'administration. Ce qu'il faut, ce sont des personnes qui ont à coeur de faire quelque chose. Et en se présentant, elles montrent que la question leur tient à coeur. 2) Ce qui se passe est la seule chose qui aurait pu se passer. Ce principe garde les gens centrés sur l'ici-et-maintenant, et élimine tous les « on aurait pu » et « on aurait dû. Ce qui existe est la seule chose qui existe en ce moment. 3) Le meilleur moment pour commencer, c'est quand ça commence. Ce principe rappelle que l'inspiration et la créativité authentiques tiennent rarement, et sans doute jamais, compte de l'heure. Cela se produit (ou ne se produit pas) lorsque cela se produit. 4). En dernier lieu : Quand c'est fini, c'est fini. En un mot, ne perdez pas de temps. Faites ce que vous avez à faire, et lorsque c'est fait, passez à quelque chose de plus utile.

La Loi est ce qu'on appelle la Loi des deux pieds. Simplement énoncée, elle dit que si à n'importe quel moment, vous vous trouvez dans une situation où vous n'apprenez rien ni ne contribuez rien, servez-vous de vos deux pieds et rendez-vous à un endroit qui vous plaît davantage. Il peut s'agir de vous joindre à un autre groupe, ou même d'aller à l'extérieur, au soleil. Peu importe, ne restez pas là assis à vous sentir malheureux. La Loi telle qu'énoncée peut sembler pur hédonisme mais même l'hédonisme à sa place, nous rappelant que les gens malheureux ont peu de chances d'être productifs.

En fait, la Loi des deux pieds n'est pas qu'un prétexte pour satisfaire ses désirs hédonistes. Un des effets les plus marquants de cette loi est de révéler, avec une clarté exquise, qui est responsable de la qualité de l'apprentissage d'un participant ou d'une participante. Si une situation n'est pas riche en apprentissage, il revient au participant de faire en sorte qu'elle le soit. Rien ne sert de blâmer le comité organisateur de la conférence puisqu'il n'existe pas. La responsabilité revient à l'individu.

Un autre effet surprenant de la Loi des deux pieds est son apparente contribution à la résolution de conflits. Je dis « apparente » parce que je n'ai aucune preuve directe qu'il existe un rapport entre la Loi et la résolution de conflits, mais il est vrai que, dans le Forum Ouvert, des groupes fortement antagonistes règlent à l'amiable et avec efficacité leurs différends sans avoir recours à une méthode reconnue de résolution de conflit, ou même à des intermédiaires. Apparemment, ils y arrivent tout seuls. À titre d'exemple, on peut citer le cas d'une réunion où une centaine de Zoulous, de Haussa, d'Afrikaners et de Britanniques ont cherché à se comprendre les uns les autres en vue de créer la nouvelle Afrique du Sud. Ou bien celui des quelque 225 personnes, bureaucrates représentant le fédéral, les États, les petites localités et les autochtones des États-Unis, réunies pour déterminer comment construire des routes sur les terres ancestrales. On aurait pu craindre un nouveau Wounded Knee, mais en fait, pas une goutte de sang n'a été versée et la tâche a été accomplie. Alors, que se passe-t-il ?

En vérité, je ne sais pas. Mais je soupçonne que la Loi des deux pieds est en cause. Visiblement, les participants et participantes s'engagent dans la discussion avec ferveur jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. C'est alors qu'ils appliquent la Loi des deux pieds. Ils se retirent, se calment, et reviennent pour continuer. Apparemment, leur désir commun de trouver une solution les réunit, tandis que la Loi leur permet de quitter lorsque ça chauffe trop.

Revenons à notre question originale : Pourquoi le Forum Ouvert donne-t-il des résultats ? Je ne pense pas que les quatre principes ou la Loi des deux pieds y soient pour beaucoup. En fait, il me semble que les principes et la loi sont davantage descriptifs que normatifs. Autrement dit, et aussi étrange que cela puisse paraître, les principes tout autant que la loi reconnaissent simplement ce que les gens font de toute manière. S'ils contribuent quoi que ce soit, c'est simplement qu'ils nous libèrent de tout sentiment de culpabilité. Car les gens vont appliquer la Loi des deux pieds de toute manière, sinon physiquement, du moins mentalement, mais dans le Forum Ouvert, ils n'ont plus à se sentir coupables. De même, les réunions commencent quand les gens sont prêts, quelle que soit l'heure indiquée à l'horloge - alors pourquoi s'en faire ? Mettez-vous simplement au travail! En vérité, en éliminant pour une bonne part le sentiment de culpabilité et le blâme, on fait un grand pas pour améliorer le fonctionnement d'un groupe. Mais le pas n'est pas assez grand pour expliquer les progrès astronomiques que réalise habituellement le Forum Ouvert. Il se passe autre chose.

Cet « autre chose » est, à mon avis, la capacité de s'organiser soi-même. Depuis que Meg Wheatley a publié Leadership and the New Science, on constate un engouement de plus en plus certain pour cet attribut (la capacité de s'organiser soi-même) et pour la notion de complexité. Une des manifestations les plus étranges de ce nouvel intérêt est le nombre de personnes qui consacrent apparemment leur temps à organiser la capacité des autres à s'organiser. Il me semble qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Soit la capacité de s'organiser existe, et dans ce cas, pourquoi intervenir. Soit elle n'existe pas - et alors, pourquoi intervenir s'en préoccuper.

Je commence à penser, et l'idée me poursuit de plus en plus, qu'un système qui ne s'organise pas par lui-même ça n'existe pas, du moins dans le monde naturel, ce qui inclut les humains. Si cela est vrai, alors une bonne partie des activités que nous menons actuellement dans le but de « nous organiser », constituent une perte de temps et les conclusions qu'il faut en tirer sont assez ahurissantes. Que mes doutes soient justes ou non, je suis persuadé que la capacité de s'organiser soi-même est au coeur du Forum Ouvert.

Un des principaux intervenants dans le domaine de plus en plus populaire des systèmes capables de s'organiser eux-mêmes, aussi connu sous le nom de Systèmes d'adaptation complexes est Stuart Kaufmann. M. Kaufmann est membre de l'Institut de Santa Fe et biologiste de formation et de profession. Il s'est donné pour modeste tâche de comprendre comment, à une époque reculée, la vie aurait pu naître d'un riche bouillon de molécules, et donne des détails dans son ouvrage publié en 1995, At Home in the Universe (Oxford). Il est vrai que M. Kaufmann est biologiste, qu'il travaille avec les organismes vivants, et que par conséquent, les structures ou modes d'organisation élaborés par les humains lui sont moins familiers. Je n'ai pas suffisamment d'expertise pour juger de la validité de ses conclusions, bien que ses collègues semblent vraiment le prendre au sérieux. De toute manière, on trouve, disséminées ça et là, parmi des notions de biologie fort ésotériques et d'intéressantes mathématiques, ce que je pense être, pour M. Kaufmann, les conditions essentielles au développement de la capacité de s'organiser soi-même. Nulle part les formule-t-il exactement comme je le ferai dans un instant, mais je pense bien en avoir saisi l'essentiel.

Les conditions essentielles requises sont : 1) Un environnement nourrissant et relativement sécurisant.. 2) Un degré de diversité et de complexité élevé parmi les éléments devant s'organiser. 3) La faculté de vivre à la limite du chaos, autrement dit, rien ne se passera si rien ne bouge. 4) Le besoin intérieur poussant à l'amélioration; ainsi, si vous êtes un atome, il serait utile de vous associer à un autre atome pour devenir une molécule. 5) Des liens préalables peu nombreux. Ce pré-requis est un peu difficile à imaginer et a été pour moi une véritable surprise. M. Kaufmann laisse entendre que les organismes ne sont capables de s'organiser que s'il existe peu de liens préalables entre eux, en fait, pas plus de deux liens. En rétrospective, cela a du bon sens. Si tout est déjà connecté à l'avance, comment peut-on s'organiser par ses propres moyens ?

Les conditions définies par M. Kaufmann ne prouvent nullement que le Forum Ouvert donne des résultats. Mais cela n'est pas nécessaire puisque des gens partout dans le monde, dans des milliers de situations, savent que la technique fonctionne. Le fait même qu'elle donne des résultats semble étonner, ce qui nous amène naturellement à nous demander « pourquoi ? » C'est en réponse à cette question que je trouve les observations de M. Kaufmann tout à fait fascinantes.

Elles sont fascinantes en partie à cause de la similitude entre les propos de M. Kaufmann et ce que je dis depuis près d'une douzaine années lorsqu'on me demande quelles sont les conditions appropriées à la tenue d'un Forum Ouvert. Je réponds que le Forum Ouvert convient à toute situation caractérisée par un fort degré de complexité (quant aux questions à résoudre), un fort degré de diversité (quant aux personnes requises pour les résoudre), par un degré élevé d'antagonisme (potentiel ou réel) et par le manque de temps (la décision ayant dû être prise hier). Dans ces conditions, le Forum Ouvert est non seulement approprié, mais semble toujours donner des résultats.

Sans m'engager dans une comparaison point par point, j'aime penser que M. Kaufmann et moi-même examinons sensiblement le même phénomène, bien que dans des domaines très différents. Et bien sûr, ce phénomène c'est la capacité de s'organiser soi-même. Ce qui m'avait échappé, et que M. Kaufmann a vu, c'est le fait qu'il doit y avoir peu de liens préalables. J'avais néanmoins remarqué que les groupes dont les membres travaillent ensemble depuis longtemps mettent plus de temps à s'adapter au Forum Ouvert que les groupes formés plus récemment. Je soupçonne que cela est dû au nombre de rapports déjà établis ou non.

Alors si M. Kaufmann et moi nous trouvons devant le même éléphant, où allons-nous ensuite ? La réponse, je crois, est dans la curieuse phrase qui revient comme un leitmotiv tout au long de l'ouvrage de M. Kaufmann : « L'ordre vient tout seul ». Étant donné que la capacité de s'organiser existe bel et bien, la présence de l'ordre n'est ni un mystère, ni le résultat d'une lutte intense, c'est tout simplement ce à quoi on peut s'attendre. Bref, l'ordre vient tout seul.

Si on passe des organismes vivants au monde très différent des grandes sociétés et autres structures ou modes d'organisation humains, à supposer que là aussi, l'ordre vient tout seul ? Si c'est vrai, cela signifie que la plupart, sinon tous les efforts présentement consacrés à l'élaboration des structures, la refonte des structures et autres activités du genre, sont suspectes, et sans doute inutiles. Pour un changement de paradigme, c'en est tout un !

Revenons au Forum Ouvert. Si l'expérience de milliers de personnes sur la planète, réunies en Forum Ouvert, n'est pas une énorme aberration, on peut conclure que la capacité de s'organiser soi-même, en ce qui a trait aux structures humaines, est un phénomène tout ce qu'il y a de plus courant. C'est là l'importance de la Technologie du Forum Ouvert. Le Forum Ouvert, ce n'est pas une technique permettant d'organiser des réunions plus fructueuses, bien qu'on obtienne très certainement ce résultat. Le Forum Ouvert, c'est faire l'expérience du mystère et du pouvoir de la capacité de s'organiser afin d'apprendre à nous sentir chez nous dans cet univers plutôt étrange et peut-être bien encore neuf (pour emprunter au titre de l'ouvrage de M. Kaufmann).

Or, nous avons beaucoup à apprendre. Mais ce que nous apprendrons dorénavant sera différent que par le passé. Il ne sera plus nécessaire d'étudier le fonctionnement des groupes autogérés ou les mécanismes du leadership partagé et doué du pouvoir d'agir, d'apprendre à bâtir une communauté et à apprécier la diversité en tant que ressource et non pas comme problème à gérer. Toutes ces choses se produisent apparemment naturellement dans l'environnement du Forum Ouvert. Nous pourrions, bien sûr, apprendre à faire encore mieux, mais lorsque les conditions essentielles à la capacité de s'organiser soi-même sont présentes, tout ce que je viens d'énumérer se produit, presque malgré nous.

Nous avons un autre apprentissage à faire, concernant cette fois-ci l'autorité ou le besoin d'imposer sa volonté. Nous avons appris, depuis toujours semble-t-il, que l'essentiel de la gestion c'est de savoir s'imposer, exercer son autorité et que si on ne respecte plus votre autorité, autant dire que vous n'avez plus d'emploi. Il n'y a pas si longtemps, pour gérer, il fallait concevoir un plan, gérer en fonction du plan et respecter le plan. Tout cela, c'est imposer sa volonté. Il se trouve que nous pouvons élaborer le plan que nous voulons, gérer en fonction de ce plan pourrait bien être une expérience très frustrante; et essayer de nous en tenir au plan (original) est non seulement impossible, mais probablement malavisé. Mieux encore, il se trouve que les structures sur lesquelles nous sommes sensés exercer notre autorité, pour ne rien dire de l'environnement dans lequel elles existent, sont à ce point complexes qu'elles dépassent notre compréhension. Or, il est très difficile d'exercer son autorité sur ce que l'on ne comprend pas.

La leçon que nous enseigne le Forum Ouvert est simple. La seule façon de faire échouer un Forum Ouvert est de tenter d'imposer sa volonté. Il est donc possible que l'unique chose que nous ayons toujours voulue (le contrôle) non seulement ne soit pas possible, mais en plus, ne soit pas nécessaire. Après tout, si l'ordre vient tout seul, nous pouvons nous permettre de n'exercer aucun contrôle et trouver cela agréable. L'ordre potentiel émerge dans le Forum Ouvert lorsque les conditions qui développent la capacité de s'organiser soi-même sont présentes. Peut-être pouvons-nous maintenant relaxer et cesser de travailler si fort.

 

 

 

 

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